Remets-en une dernière! - Que je lançais au barman encore vingt minutes plus tôt. Amusant comme je peux sembler familier et sociable dans ce genre de situation. Il faut dire que l'alcool délie les langues et dénoue les nœuds. Je suis constamment en contrôle, passablement froid et distant. L'alcool me rend plus abordable. Plus agréable. Plus... humain? Cela dit je n'ai pas abusé, pas ce soir en tout cas. Après tout, nous sommes seulement mardi et le boulot n'attend pas. Pourquoi est-ce que je suis là en pleine semaine? Honnêtement, j'ai tenté une nouvelle stratégie d'approche. Un projet qui me donne du fil à retordre et quoi que je fasse, je me heurte à un mur. Alors plutôt que d'y aller tête la première jusqu'à la mort, je choisis de me détendre un peu. Laisser mon cerveau nager dans le houblon. Peut-être que mon problème se détendra aussi dans la foulée.

Quand je sors du pub, il est déjà tard. Peut-être pas tard pour la nuit londonienne, mais tout de même tard. La nuit a depuis longtemps enveloppé la ville et une courte et légère pluie a mouillé le sol et les murs. Une fraîcheur humide qui me fait croiser les bras. Il ne fait pas froid à proprement parlé, mais mon corps alcoolisé dégage une chaleur superficielle qui m'en donne l'impression. Quelques bières agitent mon foi, rien de plus. Je devrais bien dormir sans avoir trop de mal à me réveiller ensuite. Quelques images de la soirée me reviennent en mémoire et j'esquisse un sourire impossible à contenir, et puis il se fane.

Mon regard croise celui d'un jeune homme. De grands yeux, des cheveux clairs. Le pas rapide et la tête rentrée dans les épaules. Un air familier, mais la mémoire embrumée peine à se souvenir. Dans son sillage, quatre types à la démarche lourde et aux voix fortes. Ils avancent vite, ne sont pas si loin. Je crois le jeune homme et détourne les yeux aussitôt son niveau passé. Il me dit quelque chose. Qui est-il? Quelques mètres, voire moins, je passe le niveau des types qui portent sur eux l'embrun étouffant de la clope et de la transpiration de fin de soirée. Ou d'après entrainement. Probablement les deux. À nouveau, je fixe le sol, plongé dans mes souvenirs flous. - Hé, pédale! - J'entends les pas qui s'accélèrent, la son de quelqu'un qu'on pousse. Je m'immobilise, un frisson remontant le long de ma nuque. Ils le poussent dans un renfoncement, sur le côté. Pas une ruelle, plutôt l'arrière d'une boutique quelconque. Quelques conteneurs à ordures et une porte fermée menant à la réserve du magasin. Assez discret pour qu'on les oublie. Un bête lampadaire à la lumière vacillante tremble au-dessus d'eux. - Alors? Tu veux du mec, c'est ça? On va t'en donner! Ça t'apprendra à t'en tenir aux gonzesses! - Ça faisait longtemps, tiens, que la chaleur de la colère n'avait pas bouillonné dans mes entrailles.

Demi-tour, mes grandes jambes me ramènent au renfoncement sans délais. Ils encerclent le jeune homme, forcé contre un mur. Ils ne sont pas plus grands que lui, mais ils sont certainement plus imposants. La grande gueule est celui qui le coince contre le mur. Les deux qui forment la seconde ligne ont déjà les poings serrés, excités à l'idée de bousiller du gay. Le gars juste à côté du leader a déjà les mains sur sa ceinture et je n'ai pas de mal à imaginer ce qu'il a en tête. - Excusez-moi? - Lancé-je, voix forte et grave, en m'invitant dans le renfoncement. Je ne me souviens toujours pas de pourquoi ce jeune homme m'est si familier, mais ça n'a aucune importance. Le sujet n'est pas là. - Qu'est-ce que vous croyez faire? - Rien qui te regarde. On est entre amis. - Entre amis? - Je penche la tête, lance un regard au jeune homme. - Casses-toi, du con. Y'a des leçons qui se perdent! On s'en occupe! -  L'un des gars s'avance vers moi. - À moins que tu veuilles apprendre aussi. - Lance-t-il en jouant des mécaniques. Inutile de discuter avec ces imbéciles. Même sobres, ils seraient trop stupides pour comprendre. - Des leçons qui se perdent, oui. - Dis-je pour moi-même, malgré tout assez audible pour tous. - Macaques... - Avant même que le gars ait eu la moindre opportunité de porter le premier coup, ma main attrape le côté de sa tête et l'envoie s'écraser contre le mur de briques que l'on longeait. On entend un craquement, un peu de sang roule sur son front alors qu'il s'effondre, tout juste conscient. Il ne s'y attendait pas et je n'ai pas dosé ma force, même moi je suis surpris du résultat. Avec les autres, ce ne sera pas la même.

Dans son esprit à lui, la vie pourrait être simple. Dans ses pensées à lui, Niven voit la vie en couleurs, sans guerre, sans meurtres, sang le sang sur ses mains et le cœur meurtris par la violence. Oh, si Niven se l'imagine après quelques pintes coulant dans son sang, la vie est douce. Torse légèrement découvert, tatouages enveloppés d'une légère couche de sueur, il danse sans barrière, sans honte, sans douleurs au milieu des corps. Ses doigts glissent avec délice sur le torse d'un charmant jeune homme. Les yeux se cherchent, les corps s'attirent. Corps électrisé par le jeu, il cherche le contact, ses lèvres se déposant dans son cou. Il font de mal à personne, les deux jeunes, pourtant y'en as qui se sentent beaucoup plus concernés que d'autres. De bras fort les séparent alors que la gifle arrive, fort, sans que Niven n'est pu rien y faire. Oh, douleur grisante lui chatouillant la peau alors que ses yeux cherchent à se stabiliser, retrouver l'homme qu'il cajolait simplement.

Et malgré son métier, pas un brin violent, Niven lui, rend pas les coups, cherche même à s'esquiver sans rien n'y ajouter. Et si, avec une pinte ou deux en moins dans son sang, il aurait sûrement cherché à éduquer les chiens de la casse l'ayant agressé, il se contente d'un majeur en l'air, alors que le vigile accroche déjà sa chemise pour le traîner vers l'extérieur. Déboussolé par l'agitation, Niven trébuche à la sortie de la boîte, se rattrape au mur en soupirant. Passant ses deux mains dans ses cheveux, il tente d'oublier, comme souvent. Dans les effluves de l'alcool, il y a laissé la parole, alors il décide de marcher un peu pour s'éloigner du quartier moldu. Pourtant, les pas derrière lui, résonnent, fantômes le pourchassant dans les rues noires de Londres. Et alors que Niven accélère un peu le pas, son regard croise celui d'un homme à l'air ténébreux. Le jeune accroche son regard, demandant implicitement de l'aide alors que les premières voix éclatent, son seul espoir d’échappatoire le dépassant en détournant les yeux. « Hé, pédale ! » Son cœur bat la chamade alors qu'il accélère, néanmoins rattrapé par ses agresseurs. Visage déjà rougi par les précédents coups, le sang séché au bord de la lèvre, il essais de se dégager alors qu'on l'attire dans l'impasse mal éclairé. « Alors ? Tu veux du mec, c'est ça ? On va t'en donner ! Ça t'apprendra à t'en tenir aux gonzesses ! »

Malgré son métier, Niven prônait la non-violence et détestait se battre, aussi leva t-il les deux mains en signe de paix, encaissant le coup de son dos fracassé contre les briques alors que le corps de son agresseur se collait au siens. « C'est dommage, tu rates la moitié de la planète en faisant ce choix de vie-là... » Dit-il néanmoins. Sourire en coin, la peur se mélangeant en un cocktail explosif à l'adrénaline et l'alcool, alors que le premier coup tomba à nouveau contre sa mâchoire, lui arrachant un petit cri. Malgré son mètre quatre-vingt-trois, Niven n'en menait pas large face à ses agresseurs, et le goût du sang dans sa bouche le ramena bien vite à la réalité : il allait passer un sale quart d'heure. « Excusez-moi ? » Tous les regards se tournèrent vers la rue, et Niven en profita pour essayer de se dégager, mais l'avant-bras de son agresseur resta bien en place sur sa gorge, l'empêchant de respirer correctement. Il reconnut alors l'homme qu'il avait croisé quelques secondes plus tôt et remercia tous les dieux d'avoir créé des humains avec encore un peu de compassion.

Les paroles paraissaient un peu flou aux oreilles du jeune sorcier, mais il ne rata rien du premier coup envoyé par son sauveur, ni le bruit significatif d'un os qui craque sous le choc, encore moins le corps d'un de ses agresseurs s'écraser au sol. Ses yeux s’écarquillèrent, Niven lui, bien incapable de reproduire pareille violence. Néanmoins, le voir se battre comme ça pour lui donna à Niven la force nécessaire pour se révolter, remontant son genou entre les jambes de celui qui le tenait, lui éclatant ses bijoux de famille assez fort pour qu'il se penche en deux. Ainsi, Neven le poussa assez fort pour se dégager de contre le mur alors que le troisième fonçait sur l'inconnu, voulant lui envoyer son poing dans le ventre. Niven perdit le fil de l'action quand il se retrouva à nouveau aux prises avec son adversaire. L'envie de lui envoyer un sort explosif dans la gueule lui traversa l'esprit, mais même Niven, auror désordonné et indiscipliné, n'était pas aussi stupide pour s'en prendre à un moldu. Le coup envoyé dans son dos lui fit perdre l'équilibre et se casser la gueule, se rattrapant de justesse avant de voir son crâne toucher le bitume. Du coin de l'oeil, il regardait partir son agresseur vers le deuxième homme. Niven réussis alors à crier d'une voix rauque « Attention ! » juste à temps pour lui éviter le coup porté.

Aussitôt, un second débile vient dans ma direction, les poings serrés et le pas rapide. J'aperçois tout juste le jeune homme broyer les valseuses de leur leader. Lorsqu'il s'écroule, mon assaillant est à mon niveau. Le poing file. Je recule d'un pas. Il est emporté par son propre élan et je me plante comme une statue, épaule en avant. Elle s'enfonce dans son abdomen et il repart en arrière. Je ne suis pas le meilleur des combattants. Je peux tenir bon dans ce genre de bagarre, mais je ne saurais me targuer d'avoir la moindre véritable technique. Au mieux, je reproduis ce que j'ai pu voir à la télévision, et j'utilise mon cerveau pour en faire le moins possible. Lorsque je relève la tête, le jeune homme est au sol et le chef des ces imbéciles vient dans ma direction. Retournant de situation que je n'avais pas anticipé. Il marche bizarrement, cela dit. Ses petites boules encore loin dans ses entrailles.

Malheureusement, à deux contre un, je suis loin d'être avantagé. Le dernier homme debout est du côté du jeune, prêt à s'occuper de lui. Les mêlées, très peu pour lui. C'est celui qui allait défaire sa ceinture. Un lâche qui salive déjà d'avoir le jeune rien que pour lui. Une pensée qui me déconcentre. - Attention ! - Le cris n'aide pas. Je parviens à dévier le coup du premier, mais le leader m'assène un poing brutal. Je sens ma mâchoire comme jamais. Le sang sur la langue. Mes pas se font désordonnés. Je recule, titube, et lorsque je relève la tête, un nouveau coup me renvoie dans les cordes. L'espace d'un instant, l'envie de saisir ma baguette me vient. Comme un réflexe. Et l'espace d'un instant, je m'apprête à le faire. Je me vois déjà en position de force à les faire danser comme les singes qu'ils sont... et puis je me souviens.

Dans un geste brusque et soudain, j'envoie ma main dans la gorge du gars.  Imparfait et un peu hasardeux, la chance est pour une fois de mon côté puisqu'il se prend le cou entre les mains en reculant, la respiration coupée. L'autre gars continue d'avancer, mais malgré mon nez en sang, je le vois venir. Il est aussi ivre que les autres. Instable. Alors je prends mon mal en patience et m'attaque à l'urgence. Mon poing s'enfonce dans son ventre, coupe sa respiration et le plie en deux, ce qui me donne l'opportunité d'envoyer mon genoux dans son visage. Son nez se brise, je sens le cartilage craquer autant que je l'entends. Il s'effondre, inconscient. Ironiquement, la tête sur les fesses de son ami qui a fini par abandonner également.

Leur leader tient le coup. Ça en est presque impressionnant. Émasculé et étranglé, il est encore debout. À côté, ma mâchoire anesthésiée par la douleur et mon nez tordu qui pisse le sang ne sont rien. Un sacrifice pour la cause, si je puis dire. La sagesse voudrait que je ne surenchérisse pas. Il tient debout, certes, mais peine à revenir à la charge. Je ne devrais pas attaquer. Seulement me défendre. Le Choixpeau ne m'a pourtant pas envoyé à Gryffondor pour rien. Dans un demi sourire nimbé de sang, je me rapproche et lui assène un coup dans les côtes pour l'empêcher de se débattre. Puis, mue par l'adrénaline, je le soulève et le fais basculer dans une benne à ordure ouverte. Trois de moins. Je me retourne. Qu'en est-il du quatrième? Qu'en est-il du jeune homme?

Les effluves de l'alcool lui embrouillent la tête, en plus du sang s'échappant de sa lèvre et des douleurs dans ses côtes. Les yeux de Niven ont du mal à se focaliser sur l'action, du mal à voir venir les coups, aussi il n'a pas d'autres solutions que d'encaisser, ses genoux embrassant violemment le sol après un coup qu'il n'avait pas vu venir. Complètement troublé par l'action, la tête lui tournant, Niven était dans un piteux état. Il sentait à ses côtés encore une présence, puis une main hargneuse lui attraper les hanches pour le faire basculer.

Comprenant ce qu'il allait se passer s'il ne réagissait pas, entendant son protecteur se battre au bout de la rue, Il laissa s'échapper un cri du fond de ses tripes alors qu'il renvoyait la main vers son assaillant pour l'éloigner.  Il faillit perdre l'équilibre en loupant le corps de l'homme au rire gras, mais Niven se releva plus vite qu'il ne s'en pensait capable et lui fonça dessus, zélateur plaquant son corps contre le siens pour l'écraser contre le mur de brique. Contre la violence et pourtant animé d'une haine et d'une envie de vengeance qu'il se découvrait au fur et à mesure que l'histoire avançait, Niven lui asséna un coup de poing dans le ventre, le retenant par l'épaule pour l'empêcher de tomber à terre, envoyant ainsi une seconde fois son poing dans ses côtes avant de reculer en toussant, titubant vers l'arrière pour voir son agresseur cacochyme glisser le long du mur en se tenant les côtes.

Horrifié de la situation, les cheveux lui retombant sur le visage, il regarda autour de lui pour ne voir qu'une seule silhouette encore debout. Sa voix sifflait alors qu'il criait presque. « C'était quoi ce bordel ?! Fait chier... » Ses doigts se portèrent à ses lèvres qu'il découvrit enflée et en sang, effaçant d'un geste la sueur sur son front. « Merci, vieux. » Dit-il d'un ton tout à fait familier, soufflé, en reculant jusqu'à sentir la brique dans son dos et se laisser glisser le long du mur, ses yeux découvrant le carnage qu'avait fait son sauveteur, , cherchant son regard, sourire sur les lèvres, aussi perdu qu'amical.

Lorsqu'enfin je peux me payer le luxe de vérifier si le jeune homme va bien, c'est pour voir son assaillant s'écrouler en se tenant les côtes. Son visage est écarlate et il a une difficulté évidente à respirer. Une image qui me tire un sourire satisfait. Je ne devrais pas me réjouir de la douleur des autres, mais là... J'ose espérer qu'une leçon a été apprise. - C'était quoi ce bordel ?! Fait chier... - Le jeune se laisse glisser contre le mur. Les yeux ronds, le regard vide et le teint pâle. La réalité qui revient frapper à la porte de son esprit maintenant que l'urgence est écartée. Moi-même retrouvant conscience de la situation, je m'approche avec prudence. - Merci, vieux. - C'est normal.

Concentré, je l'observe avec attention. Il n'a pas l'air gravement blessé. Il a encaissé quelques coups, mais ce ne sont que des contusions. Des bleus. L'essentiel des dégâts est invisible. Tempête enragée derrière les yeux bleus. De mon côté, en revanche, les blessures sont bien visibles et pas moins douloureuses. La tête a pris. Mâchoire, nez, tempe. Pas dans cet ordre, mais l'ordre est déjà flou. L'ordre est de toute façon secondaire, parce que maintenant que je peux le regarder de prêt, son visage se fait de plus en plus familier. Mes sourcils se froncent. Ma mémoire baignée d'adrénaline s'enclenche. - Wait... - La scène revient. Elle se déroule sous mes yeux et un sourire douloureux vient tordre mes lèvres. - Je t'ai bousculé. C'était bien le minimum que de venir t'aider. - Le Ministère. Quelques jours plus tôt. Une collision assez épique. Aucun de nous ne regardait ou nous allions, mais je me souviens avoir été bien moins atteint. Il faut dire que je ne tombe pas facilement. Moi ou un mur...

Certain désormais que lui et moi sommes de la même espèce, je m'assure que tout notre entourage proche est inconscient et sort ma baguette de ma manche. Je le pointe vers mon nez, inspire un bon coup et... - Episkey - Le bruit du cartilage qui se replace d'un coup sec n'est rien à côté de la sensation qui vient avec et qui me tire un petit grognement de surprise et de douleur. La sensation de chaleur intense laisse place à un froid glacial et la douleur, doucement, s'estompe. - Rien de cassé? - S'il n'a rien, inutile de garder ma baguette en vue plus longtemps. Elle retourne dans ma manche et je lui tends la main. - Vient. Inutile de s'éterniser ici plus longtemps. On va te requinquer. - Lancé-je avant de l'aider à se lever. Mon plan? Mon plan est simple. Retourner au pub que j'ai quitté une quinzaine de minutes plus tôt, prendre une bière bien fraîche et demander une poche de glace ou deux au patron. C'est un ami. Il ne rechignera pas à nous dépanner.